pascal convert

1983

Villa Argenson

 

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La perte à perte de vue

Il y avait autrefois, sur une falaise abrupte de la côte des Basques, à Biarritz, trois demeures aux noms étranges ou bien communs, c'est selon : Itxasgoïty (ce qui signifie à peu près « la maison de là-haut » ou « au-dessus de la mer »), Argenson, Belle-Rose. Pascal Convert les a découvertes en compagnie de Didier Malgor, vers 1983, dans le plaisir enfantin de franchir quelques palissades, d'ignorer les panneaux Danger !, et d'entreprendre là toute une série d'explorations initiatiques évoquant le Stalker de Tarkovski. Ces demeures ruinées étaient ressenties, littérairement et visuellement, comme de grands squelettes vides : il n'y avait plus rien à l'intérieur, tout avait été dévasté. Des brèches dans le sol faisaient voir l'océan battant, tout en bas, et par temps de tempête les embruns envahissaient tout l'espace ouvert aux vents violents.

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Un lieu ruiné, donc, un lieu en état de chute constante et inexorable (1). Mais, aussi, et dans le même mouvement de pensée, un lieu généalogique, un lieu où des familles vécurent et se détruisirent devant la mer, suscitant chez les deux amis une sorte de curiosité fiévreuse et systématique à l'égard du site, prenant corps dans un véritable « état des lieux » topographique, géologique — même le fond marin, le gouffre faisant face aux falaises, fut interrogé —, prosopographique et généalogique. Ce qui fascinait l'artiste, dans cette architecture littéralement ouverte, c'est que les carcasses imposantes faisaient le cadre — l'écrin labyrinthique et décharné — d'un spectacle vide, un spectacle du vide. Perchées en haut de la falaise, les trois demeures ne donnaient à voir, pour qui y pénétrait, que leur propre déréliction architecturale et le plan frontal d'un ciel mêlé d'océan. Ne voir à travers ces fenêtres sans vitres que le bleu-vert océan, c'était, dans les propres termes de Pascal Convert, ne voir qu'un « plan vide », « sans aucun effet de perspective ». La trouée du lieu, étrangement, frontalisait le vide. Il n'y avait à voir qu'un fond, qu'un front d'azur évoquant, imposant — aussi bien verticalement qu'horizontalement, là réside une grande part du trouble suscité par cette expérience — la perte à perte de vue.

Extrait de "La demeure, la souche",
Georges Didi-Huberman


1 - Didier Malgor évoque, dans Généalogies et dans Lettres de Tagarda et retour, op. cit, les « ruissellements de février emportant la falaise », les « circulations souterraines » du lieu, et encore les pans de la falaise s'effondrant dans la mer.

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