2013

La Constellation du Lion

La Contellation du Lion La Contellation du Lion

La constellation du Lion

Un livre de Pascal Convert
sortie le 2 octobre 2013, aux éditions Grasset, 160 pages, 14€

Une mère, écrasée par l'ombre de son père, le Lion des Landes. Dans le Sud-Ouest de la France, les pages qui se tournent racontent une enfant élevée sans mère et qui ne sut jamais être mère à son tour, une jeune femme qui ne voulait pas grandir, une femme qui avait peur de mourir et qui a survécu plus de trente ans à son mari. Elle qui s'est avancée dans la vie, décousant avec soin ce qui aurait pu se tisser de rassurant et de protecteur autour de ses enfants, les livrant seuls face à ce gouffre d'absence, ces filiations trop lourdes, cette douleur diffuse.Une femme qui flottait, fille d'un père qui résistait. Comme une équation mathématique étrange. Un fils qui refait le trajet entre ces deux résistances conjuguées, résistance à l'envahisseur et résistance à la vie, ce grand écart entre solidité et solitude. De sa mère qui tenait un journal intime, Constellation, il a pris le goût de l'écriture et aussi, comme creusée, évidée, déchirée dans la mémoire, la conscience aiguë de ce qui ne lui a pas été donné. De son père, le bleu du ciel. De son grand-père, le refus des compromis et la volonté de construire. De quelle histoire est-on le dépositaire, de quels choix l'héritier ?

La Contellation du Lion La Contellation du Lion


La Cause Littéraires

Ecrit par Laurence Biava,
le 6 janvier 2014
dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Récits, Grasset

Ce livre de rentrée est un sublime livre de résistance. Un récit historique. Un récit de résistance et de mémoire, qui oppose au sein d’une même famille des fortes personnalités et des personnalités plus faibles, plus éprouvées. C’est un livre qui raconte aussi la tentation de l’oubli, par la narration des bribes d’Histoire tout court avec les figures héroïques qui ont jalonné et traversé quelques tranches de vie douloureuses.
Le livre, c’est avant tout celui qui fait la part belle au parcours personnel, professionnel et historique de ce grand-père Léonce Dussarat (d’où le titre de l’opus), immense figure pittoresque de la résistance du Sud-Ouest, chasseur tireur d’élite, chasseur de tir et instructeur pour les officiers de Saint-Cyr, membre du Jury international aux épreuves de tir aux Jeux Olympiques d’Helsinki, un homme qui, de surcroît, possédait une voix de stentor. Ce détail n’est point superflu, puisque c’est ce qui, malgré lui, le rendait si impressionnant, voire terrifiant pour sa fille, la mère de l’auteur… Il est présenté ainsi par l’historien Gilles Perrault : « L’homme avait été si superbe dans ses refus obstinés de composer avec la trahison pétainiste que ses camarades avaient transformé son pseudonyme de résistant, Léon des Landes en Lion des Landes ». Tout est dit.
La fille de Léonce Dussarat, la mère de l’auteur, entre en scène dès la seconde page. Son fils lui rend un hommage des plus affectueux en publiant les trois quarts de son journal intime. C’est une femme qui vit dans l’ombre de ce père écrasant. Sa vie raconte ses peurs, son îlot d’enfance sans mère, son refuge dans les bluettes, les décors rose et bleu, sa peur d’avancer, sa défaillance aveugle face à la maternité, sa peur de la mort, ses malaises, son absence, sa solitude, sa désespérance, sa survie (elle a survécu plus de trente ans à son mari parti trop tôt). Ces douleurs diffuses reviennent décrites toutes les trois pages environ.
Pascal Convert a voulu écrire un livre sur ce dont on ne parle visiblement pas assez : le sort que l’on réserve aux enfants de héros. C’est un livre important sur la filiation et ses dommages collatéraux. Sur les métastases psychologiques dues aux hantises. Aux obscurantismes et à ce qu’ils drainent. Sur les prises de pouvoir des uns et les replis supportés des autres. La vie de la mère de l’auteur semble irrationnelle et décomposée à côté de celle du père omniprésent, avide de réussite sociale.
Il fallait s’intéresser à l’impact psychique des événements sur cette femme et aller au-delà, en parlant de cette génération qui suit, celle de Convert. Il fallait dire la trajectoire littéralement cataclysmique de ces enfants conscients et hagards qui n’ont rien compris à ce qui se passait sous leurs yeux d’enfant. Ce sont les traumatismes d’enfance, et l’incompréhension toute entière, la mort décapitée au fond des yeux, pour dire qu’ils sont au fond d’une impasse, qui est explorée ici… Convert insiste : sa mère a perdu son enfance et cette évidence éloquente rappelle l’étrangeté de cette faille affective qui s’ouvre béante sous nos yeux comme un glissement de terrain : il faut se rappeler le contexte. Nous sommes en 1939, c’est le début de la guerre. Dès 1940, la France n’existe plus. Il n’y a plus ni passé, ni avenir. Le 10 juillet 1940, à Vichy, Eugène Milliès-Lacroix votait en faveur de la loi constitutionnelle donnant les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Léonce Dussarat, ce patriote vénérable, sans avoir tiré un seul coup de feu, est démobilisé le 19 juillet. Le notaire dacquois, Camille Bouvet, lui ouvre les portes de la résistance. En septembre 1943, le domicile de Léonce Dussarat, qui a pris le maquis parce que sa tête est mise à prix, est sous haute surveillance par les autorités allemandes d’occupation. Voilà la trame historique de ce récit hors pair.
Il est impossible de savoir avec précision la date à laquelle ma mère a décidé de s’astreindre à ce pénible exercice de l’écriture de soi. Signe d’une difficulté à quitter le temps de l’enfance, elle avait choisi de confier ses pensées à des cahiers d’écolier aux couvertures de couleur rose, bleue ou jaune pâle. Sans aucun respect pour le quadrillage qui guidait les premiers pas des enfants dans l’apprentissage de la calligraphie, elle emplissait tout l’espace de la page de larges lettres qui flottaient comme des nénuphars vénéneux. Les lettres avaient une telle largeur qu’une dizaine de lignes suffisaient à remplir la page, ce qui ne manquait pas de la rassurer sur sa capacité à écrire un roman.
Lui, le fils, Pascal Convert, se fait plus pudique. Il procède par échos et se livre entre deux bribes d’histoire ancienne. On dirait qu’il entend des voix. On n’en dira pas plus. Vivant tiraillé entre la passivité de sa mère, la figure tutélaire de son grand-père, le souvenir de son père trop tôt disparu. Reviennent alors de façon répétitive les mots sur les questions de l’oubli, du souvenir, sur ces territoires mémoriels de chagrins qui ne passent pas. Difficile d’être entre deux, de s’y retrouver. De conjurer le sort. D’admettre, de comprendre sans exploser en plein vol quand on est le dépositaire d’un tel héritage. Quand on est, d’une certaine façon, « le fils de ».
Servies par une écriture admirable et somptueuse, il y a enfin des grandes pages sur l’Aquitaine, le Béarn, les paysages des Landes, dont les descriptions épousent le caractère central de cette envahissante épopée et du contexte. Il y a quelque chose de faulknérien dans la description des paysages, paysages psychiques où s’ancre la folie toute entière, paysages qui semblent reproduire la folie des hommes. Les descriptions des allées de platanes n’ont rien de Rosebud non plus, mais toute la description de cette onde verdoyante forme une bande horizontale qui ressemble aux plis de labyrinthes de l’Histoire, avec ce que cela comporte de secret, et d’enfoui. De traître. Des paysages sculptés et transcendantaux, dont le poids et le symbole n’ont rien de romantique ni de nostalgique mais revêtent quelque chose qui approcherait plutôt de la tentation de l’engloutissement.


Dans la presse écrite

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Émission radio

Pascal Convert - Le rendez-vous avec Jean-Paul Felley
et la session de HJ LIM
France Culture - février 2014 - mp3 - 20 min

Du jour au lendemain
Alain Veinstein reçoit Pascal Convert
France Culture - 18 janvier 2014 - mp3 - 34 min