pascal convert

1995 - 1996

Cloches

 

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Entretien: Hélène Ilkar - Pascal Convert

- PC: Je pense qu'il faudrait qu'on parle de la manière dont ce travail a été mené. C'est essentiel à sa compréhension.

- HI: Il faut tout de suite dire que ce n'est pas un travail en collaboration, rien à voir avec ça. Il s'agit vraiment d'autre chose.

- PC: On peut commencer par là. J'avais un projet de trois cloches en cire blanche pour une exposition à Moscou. J'ai pensé à des textes sur les cloches et je te les ai demandés.

- HI: Oui, et je n'ai pas voulu en savoir davantage. À quoi ressembleraient ces cloches. Surtout ne pas m'assurer de leur existence. Je t'ai donné les textes au dernier moment et j'ai vu les cloches seulement le jour du vernissage.

- PC: Mais moi j'étais dans le noir, comme toi avec les textes. C'est la même chose, je vois aussi les objets au dernier moment.

- HI: Alors être dans le noir, c'est ta façon de travailler?

- PC: De plus en plus. C'est comme ça que ça marche de plus en plus ...

- HI: Je pense maintenant que ces cloches sont des instants. Vraiment. Et chacun avait besoin de travailler dans son coin sans parler de son travail pour parvenir à la matérialisation d'un instant qui s'est produit en-dehors de nous. Mais ça n'a rien à voir avec l'immédiateté. L'instant c'est la connaissance. En un instant la connaissance survient et s'évanouit. On a un sentiment de rencontre en plein vol.

- PC: Oui, ça a quelque chose du choc. La rencontre individuelle là est vécue comme un choc, pas du tout vécue en fait comme une proposition théorique ou dialectique, c'est de l'ordre du choc. Deux choses qui se percutent sans économie, sans une stratégie a priori. C'est une pensée sans arrière-pensée, des objets sans arrière-pensée ... Travailler dans le noir pour produire des objets sans arrière-pensée.

- HI: Tout en sachant ce que tu fais ... Que veux-tu dire par objets sans arrière-pensée?

- PC: Des objets sans stratégie, sans acquis.

- HI: Sans acquis, oui. Je crois qu'il ne faut pas trop expliquer. Quand tu dis «des objets sans arrière-pensée», ça ouvre tellement, ça va tellement vite. Les objets arrivent à une vitesse phénoménale, ils arrivent sur nous.

- PC: Et pour les cloches en particulier, elles arrivent de loin ... Elles arrivent de loin et sans arrière-pensée, c'est pour ça qu'il y a cette vitesse.

- HI: Mais là, c'est comme un projectile, surtout pour la cloche noire. C'est à la limite aussi un météorite: ça se serait formé ailleurs, la cloche se serait formée dans l'espace et puis serait tombée.

- PC: Moi j'ai l'impression d'une capsule spatiale, d'un satellite qui va prendre sa propre trajectoire, sa vitesse.

- HI: Est-ce que tu peux expliquer pourquoi ces cloches vont si vite?

- PC: Ce que je ressens c'est une grande énergie. Et des mouvements contradictoires. On a pris un cloche, qui est vraiment une forme collective, un objet de rassemblement, de structuration. Une cloche n'est pas faite pour un dialogue entre deux individus, je crois qu'elle est faite pour un dialogue entre des individus et une notion, ou une idée, mais pas entre deux individus. C'est pour ça qu'elle est par terre aussi à mon avis.

- HI: Entre deux individus, elle peut être posée par terre. Si c'est pour le rassemblement, pour une idée collective, elle est élevée.

- PC: Et puis il y a aussi ce que j'appelle un mouvement centrifuge et centripète. En fait une cloche c'est un objet rond, fermé sur lui-même et en même temps on est toujours à l'extérieur, à la périphérie. Quand elles sont en l'air, on les regarde mais on ne peut pas tourner autour, ici elles sont posées au sol et on peut tourner autour. On n'est ni à l'extérieur, ni à l'intérieur, on est sur la ligne de séparation entre les deux, juste sur cette ligne-là.

- HI: Oui, elles sont suspendues entre les deux, comme entre le collectif et l'individuel, vraiment dans une limite ... Ce sont aussi des objets de civilisation parce qu'il y a de l'écrit. Mais c'est une idée de civilisation moderne. Jamais sur une cloche il n'y a de dialogue entre individus, ce n'est pas fait pour ça, il y a des formules divines ... Ce qui est intéressant, c'est que nous on a repris une forme archaïque qui servait à conglomérer une société mais on y a inscrit un dialogue entre individus. Tout en gardant l'écho de la question sociale, ce qui fait que ça se télescope. Parce qu'évidemment maintenant, des dialogues individuels il n'y a que ça, sauf qu'ils ne se font pas sur des cloches, ils se font sur des formes individuelles.

- PC: Ça peut éclairer aussi le sens de l'exposition, où certains éléments, le rouge, les souches par exemple, font tendre vers le collectif un travail qui a toujours été perçu du côté du biographique. Et puis aussi il y a ce que je disais: il n'y pas de question de goût. C'est-à-dire on n'est pas devant un objet d'art qu'on jugerait par rapport à un bon goût ou un mauvais goût. C'est difficile à expliquer, c'est un peu comme quand on est devant un objet primitif. C'est pour ça que ce n'est pas un objet de goût, c'est que c'est un objet qui n'a pas la mémoire de lui-même, c'est-à-dire un objet qui a la mémoire du reste ...

- HI: Je reviens à l'objet de civilisation: ça je crois que c'est de la civilisation, quand un homme et une femme travaillent ensemble, qu'il y a rencontre de deux entités différentes.

- PC: Tout à fait, et je crois que la force de cet objet est que justement ce n'est pas un objet en miroir, c'est un objet qui regarde le monde.

- HI: La force vient de toutes ces notions opposées. La cloche noire se pose, dans les blanches il y a un envol, une propulsion ...

- PC: Les textes donnent l'idée d'un soulèvement. C'est à chaque fois un équilibre sur des notions opposées. L'équilibre entre les forces fait qu'on a sa propre trajectoire, sa propre force de gravitation.

- HI: Et il y a l'idée de l'écart, l'écart le plus long ...

- PC: C'est vrai que le mouvement vient aussi des notions paradoxales d'écart et de division que tu emploies.

- HI: Avec trois cloches, il était difficile d'éviter la question de la division. Elle est au centre de notre culture, de ce que nous sommes. Je pense aussi que la cloche blanche se soulève.

- PC: Comme un coeur!

- HI: Ça s'est imposé. Pour moi une cloche est un coeur parce que c'est un objet qui bat, qui appelle, qui soude la communauté dans la joie ou le malheur. Comme ça se passait en terre russe, pour les cloches blanches je suis partie d'une phrase de Tsvetaeva "les médecins nous reconnaîtront à la grosseur de nos coeurs». En fait, j'avais trois phrases en tête, celle de Tsvetaeva et puis "la division est au coeur» et «le coeur parle une langue étrangère».

- PC: Le coeur parle une langue étrangère?

- HI: On met une vie à comprendre ce que dit son coeur parce qu'il parle une langue étrangère. Et il est divisé. Et avec tout ça il arrive quand même à unifier, c'est ça qui est beau.

- PC: Et puis, pour la division, les grands mythes autour des cloches sont des histoires de cloches cassées. Et quand ça bat ça divise, le battant divise l'espace. Et il y a aussi l'anneau en croix, la couronne au-dessus de la cloche qui la divise en quartiers. Une cloche est un objet qui éclate. La cloche de Moscou éclate en trois éléments et l'autre en quatre éléments puisqu'il y a quatre textes.

- HI: Je crois que j'ai senti que les gens allaient tourner autour, lire les quatre textes et être rassemblés. Avec la lumière au bout. C'est l'idée des derviches tourneurs. Ils sont noirs et blancs et tournent de plus en plus.

- PC: Ça va avec la jubilation. Avec le texte un peu incantatoire, avec l'allégresse. Rosset dit que l'allégresse est une pensée sans arrière-pensée.

- HI: C'est pour ça que ça va vite. Et elles sont déposées devant nous. Parce qu'après tous les mouvements dont on a parlé, le mouvement final, le dernier mouvement c'est toujours devant. Pour un humain comme pour un objet. Même un animal qui va se cacher dans la forêt pour mourir c'est "devant» ...

- PC: À la fois il y a un côté clôture, opacité avec la cire, son assourdi, mystère et à la fois il y a projection, avec les textes. Les textes sont extrêmement proches de la musique, c'est-à-dire du son absent, ils sont la projection d'un son absent. Le son là devient muet, comme si on avait une musique muette ... Et puis avec la cire, avec le fait qu'elles sont posées à terre on peut aussi avoir le sentiment d'une épitaphe, d'un objet de deuil.

- HI: Mais c'est l'inverse aussi, tu sais. On sonne les cloches pour les catastrophes mais aussi pour la joie. Toi tu parles d'une épitaphe, mais moi c'est la première inscription que j'ai quelque part. Et ce qui est très bien c'est que le nom pour la première fois soit inscrit dans une trajectoire plus large que la trajectoire individuelle. On ne peut pas s'approprier les cloches, ce sont des objets vraiment non narcissiques.

- PC: C'est exactement ça.

 

Décembre 1996

 

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