pascal convert

1987

Galerie Jean-François Dumont

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Grilles de fenêtre 1930, spot directionnel, fer forgé, 74/144cm, 1986.
Empeintes de grilles de fenêtre 1930 sur verre, spot directionnel, verre clair, 80/152cm, 1987.

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Empeintes de grilles de fenêtre 1930 sur verre, spot directionnel, verre clair, 80/98cm, 1987.
Empreintes d'éléments de rampe d'escalier 1930 sur verre, spots directionnels, quatre volumes, verre clair, 80/100cm, 1987.

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Installation, 1986. Grille de fenêtre en fer forgé 1930 sur dalle en verre, plaque de triplex sur cave, aquarium
en miroir encastré dans le sol, eau, spots directionnels.

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Installation, 1986. Grille de fenêtre en fer forgé 1930 sur dalle en verre, plaque de triplex sur cave, aquarium
en miroir encastré dans le sol, eau, spots directionnels.
Installation, 1986. cylindre en inox de 65kg encastré dans le sol, ciment, dalle en verre, mur peint en noir.

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Empreintes d'éléments de rampe d'escalier 1930 sur verre, 1987. Deux volumes juxtaposés verre clair 96/180cm.

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Maisons en ruine de la côte Basques, Biarritz, 1985.
Croquis de découpe de maison, 1986, 15/21cm.
Découpe de maison sur marmorite noire, 1987, 190/127cm.

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Installation, 1987. Volume en marmorite noire, armature en métal, 75/120/216cm.

 

Crypte.

... Il était donc nécessaire que cette double question — question de temps, question de lieu — commençât et aboutît avec la production d'objets-cryptes, d'objets-stèles et d'objets de gisance. C'est ainsi qu'il faut comprendre toute une part de la production de Pascal Convert depuis 1980 — date à laquelle il réalisa d'ailleurs quelque chose qui, bien que déterminant, échappe au « corpus » habituel et visible d'une œuvre revendiquée, exposée, à savoir une pierre tombale — comme une heuristique de l'ensevelissement. L’ensevelissement : une question posée à la disparition d'un corps dans le sol, une question posée avec sa mise en œuvre du lieu.

Le sol joue ici comme horizon et comme pliure, comme seuil à franchir et à maintenir en tant que seuil d'invisibilité. La grille déposée au sol dans l'interface d'un plan de verre, en 1986, jouait déjà le sombre jeu — sombre parce qu'opacifiant une transparence donnée à voir — de cette dialectique. Elle s'est prolongée en 1988 avec l'œuvre intitulée Pour un tombeau, qui associait un grand dallage de marmorite noire à l'élévation de trois murs peints dans la même couleur que celle de l'Appartement bordelais. Mais, déjà, dans son effet de mystères et de renvois visuels, le dallage de verre noir ne recouvrait le sol que pour y appeler la question du sous-sol. Celle-ci fut très exactement mise en jeu dans la première exposition chez Jean-François Dumont où l'on voyait, non seulement cette plaque de verre « sur crypte » dont j'ai déjà parlé, mais encore une œuvre sans titre qui laissait voir, sous une plaque de verre posée au sol, un lourd cylindre métallique enfoncé dans le sol (2).

Les lieux funéraires, nous le savons bien — cryptes, cimetières, mausolées —, forment toujours des organisations paradoxales de l'espace où le sol joue plus qu'ailleurs sa fonction de seuil matériel et de seuil visuel. Dans ces lieux, gisent et s'érigent des volumes. Mais ces volumes eux-mêmes n'y parlent que de leur évidement sépulcral, les stèles ou les constructions érigées n'y parlent que du sous-sol peuplé, empli de ses corps disparus. Or, il est bien question de tout cela dans les volumes que Pascal Convert érige sur ces sols et ces sous-sols déjà travaillés par la question de l'absence. En 1987, ce sont deux versions parfaitement antithétiques — mais complémentaires — qui auront été données de ce problème à la fois phénoménologique et structural : d'un côté, un grand « gisant » de marmorite noire aux dimensions explicitement funéraires — et je ne parle de « gisant » (qui n'est pas le titre de l'œuvre) qu'en écho à la thématique même dont l'artiste investissait ce volume, entre un resserrement inversé de l'Appartement et le déploiement consécutif d'une sémantique de l'obscur, du memento mori :

« Le volume en marmorite noire était pour moi la structuration en négatif de l'Appartement de l'artiste. Ce volume noir, qui avait les caractéristiques d'un gisant, fonctionnait d'une manière identique à l'appartement. La marmorite réfléchissait entièrement l'intérieur de la salle. Le spectateur s'en approchant pouvait observer un contour de son corps sans pour cela obtenir un mimétisme parfait. La relation entre les deux installations s'établissait sur la dialectique intérieur/extérieur. Le volume de marmorite noire reproduisait en négatif, en sombre, ce qui se passait sans l'appartement, faisant intervenir la notion de memento mori. Le troisième terme convoqué par la lumière et la mémoire, c'est l'oubli, l'obscur (3). »

De l'appartement à sa propre crypte, il y a donc le chemin dialectique — la descente, pourrait-on dire — d'un lieu d'habitation vers un lieu de disparition. Mais c'est un lieu de disparition insistante, persistante au temps de la disparition. Ce que dit bien, au fond, le mot demeure. C'est donc également un lieu de disparition partielle, puisqu'il expose et donne valeur, non pas à ce qu'il enterre — que nous ne verrons pas, qui ne nous sera ni décrit, ni conté —, mais au fait même qu'il enterre quelque chose ou quelqu'un, et qu'il devient par là le mémorial, le reste visuel de la disparition. Ce lieu joue constamment, on le comprend, sur une ligne de partage ou de démarcation. Devant lui (je veux dire devant cette volumétrie de verre noir, par exemple), nous voyons bien quelque chose que nous ne voyons jamais dans les conditions réelles ou décrites d'une crypte : ici, nous voyons l'espace autour de nous, sombrement réfléchi, et notre propre corps. Mais nous le voyons découpé, en plusieurs sens du terme : privé de son visage, lorsque nous sommes près de lui — telle est sa volumétrie paradoxale, en effet, de susciter un anthropomorphisme, et de le retrancher en même temps —, et aussi découpé en ses profils d'ombres, comme si nous étions nous-mêmes sur la ligne de démarcation d'un état de vision et d'un état d'oubli, d'un état de vie spéculaire et d'un état fantomatique, diaphane, partiel. Nous sommes un peu devant cette œuvre comme « l'ombre survivante » dont Mallarmé parlait à propos de son enfant Igitur (4). Et le volume lui-même pourra devenir, devant nos yeux, quelque chose comme cette « ombre à trois dimensions » dont Giacometti aura formé le vœu pour toute sculpture réellement intéressante, c'est-à-dire réellement inquiétante (5).

L'autre version, de 1988, aura converti toutes les valeurs de cet unique volume d'obsidienne : il se dédouble — mais il ne perd pas, loin de là, son caractère de gisant, évoquant plus précisément ces couples royaux magnifiquement et désespérément réunis dans la basilique de Saint-Denis —, et le verre clair fait place désormais à la pesante marmorite. Nous étions jusque-là devant un obstacle visuel réfléchissant, qui empêchait de rien voir au-dedans, sauf nos propres ombres passant et disparaissant à la surface. Plus d'obstacle, à présent. Mais pas plus de sujet, puisqu'il ne nous est donné que de voir... rien, rien de consistant, rien de figuratif dans ces volumes translucides protégés par des grilles que nous sommes presque obligés — mais à tort — d'imaginer comme prélevées à un cimetière réel.

Dans ces objets, dans ces lieux de mémoire généalogique qui ne cessent de se dédoubler, comme pour approfondir, mais aussi comme pour dévoyer le contenu de cette mémoire, Pascal Convert tresse subtilement deux modalités hétérogènes de la réminiscence. Elles recouvrent plus ou moins les deux sens possibles que nous pourrions donner au mot d'histoire : il y a, d'un côté, l'histoire immense et extensive des objets qui s'engendrent les uns les autres dans le temps des civilisations, des communautés ; il y a, de l'autre côté, une histoire absolument resserrée, intense, une histoire — une autobiographie — qui oriente tout depuis son obscurité même et son refus à se raconter. C'est ainsi que nous devrons (le jour où nous pourrons faire l' « histoire » de cette œuvre) dialectiser constamment les références réfléchies que Pascal Convert développe à l'égard d'autres œuvres dont il assume le legs — par exemple celui du minimalisme de Tony Smith, de Donald Judd ou de Robert Morris —, avec une implication de ce legs dans le legs absolument charnel et proche, le legs muet d'expériences ou d'événements privés, mémorables ou oubliés.

Dans la pliure dialectique de ces deux histoires, il y a sans aucun doute le « troisième genre », le troisième sens du mot histoire : c'est la fable, encore une fois, qui permet les raccourcis fulgurants par lesquels un volume minimaliste pourra être pensé dans son lien avec l'iconographie funéraire d'Alberti (celle du Saint-Sépulcre) ou d'Andrea di Lazzaro Cavalcanti (celle du sarcophage de Giovanni Bicci de' Medici, à Florence). C'est la fable, encore une fois, qui énoncera par figure, c'est-à-dire par détour ou déplacement, pourquoi, dans cette demeure, les lieux de déposition ressemblent tant, jusqu'à les dédoubler, aux lieux d'habitation. Alors, nous pourrons convoquer les images immémoriales des « demeures d'éternité » égyptiennes, des tombes mésopotamiennes ou bien étrusques, toutes bâties comme l'envers exact et la duplication de maisons habitées (6). Et nous pourrons aussi retrouver dans les fables du verre ce lien anthropologique de la mémoire et de l'oubli, de la transparence et du memento mori, du reste et de la disparition, de l'immortalité iconique et de la pauvre dispersion des corps :

« Il se trouve en Éthiopie, dit-on, un lac carré, d'un périmètre de cent soixante pieds environ, à l'eau couleur de cinabre et à l'odeur très agréable, assez semblable à l'odeur du vin vieux ; elle a une étrange propriété : on dit que celui qui la boit tombe dans une étrange folie ; il se met à avouer toutes les fautes qu'il cachait auparavant (mais il est un peu difficile de croire à ce récit que racontent certains). Les peuples d'Éthiopie organisent aussi de façon bien particulière les funérailles de leurs morts. Car ils embaument les corps et répandent autour une grande quantité de verre ; puis ils les placent sur une stèle, si bien que le corps du défunt peut être vu par les passants à travers le verre ; c'est du moins ce que raconte Hérodote. Ctésias de Cnide prouve qu'Hérodote invente : lui, il affirme que le corps est embaumé mais qu'il n'y a pas de verre fondu autour du corps nu ; car tout doit être brûlé (avec le verre), et à la fin il ne pourra subsister dans ce corps abîmé la moindre ressemblance. C'est pourquoi on fabrique une image creuse, en or, dans laquelle on glisse le cadavre, et autour de cette image on coule le verre. On le place ensuite dans un tombeau et à travers le verre apparaît l'image en or qui ressemble au défunt (7). »

Georges Didi-Huberman, extrait de "La demeure, la souche".

 

1 - S. Mallamé, « Igitur », Œuvres complètes, op. cit., p. 436-437 et 443.

2 - Cf. le catalogue Convert, Bordeaux, J.-F. Dumont, 1987, p. 11.

3 - P. Convert, « Entretien avec Y.-M. Bernard », art. cit., p. 31.

4 - S. Mallarmé, « Igitur », Œuvres complètes, op. cit., p. 436 : « [...] nuit, que je fus, ton propre sépulcre, mais qui, l'ombre survivante, se métamorphosera en Éternité... »

5 - C'est ce qu'il écrivait en 1945 pour dire son admiration devant la sculpture de Henri Laurens : « La sculpture de Laurens est pour moi, plus que toute autre, une véritable projection de lui-même dans l'espace, un peu comme une ombre à trois dimensions. Sa manière même de respirer, de toucher, de sentir, de penser, devient objet, devient sculpture. Cette sculpture est complexe ; elle est réelle comme un verre (je voudrais dire “comme une racine", j'en suis moins sûr, bien qu'elle soit par certains côtés plus proche de la racine que du verre). » A. Giacometti, « Henri Laurens » (1945), Écrits, Paris, Hermann, 1990, p. 21. Cf. également p. 247.

6 - Cf. D. Laroque, « L'autre maison », dans Pascal Convert, Genève, Halle Sud, 1990, p. 2-3.

7 - Ctésias, Histoires de l'Orient, I-III, 14, 4 et 15, 1-4, trad. J. Auberger, Paris, Les Belles Lettres, 1991, p. 41-42. Cf. également Hérodote, Enquête, III, 24. Diodore de Sicile, Naissance des dieux et des hommes, II, 15, 1. Élien, Histoire variée, XIII, 3.

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