pascal convert

1989

Galerie Jean-François Dumont

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Vitrification, dalles de verre clair, piece 535/467/295cm.
Découpe, surface au sol de la galerie Jean-François Dumont, fer forgé, verre clair 104/215/261cm.

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Vitrification, dalles de verre clair, piece 535/467/295cm.

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Carreaux, d'après un motif gravé pour impression sur tissu, posés dans deux embrassures de porte, verre moulé.

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Carreaux, d'après un motif gravé pour impression sur tissu, posés dans deux embrassures de porte, verre moulé.
Empreinte, potiches chinoises et chien de Fô, verre massif.

vitrification de la galerie

Le verre vitrifie, c'est-à-dire qu'il fixe d'abord, qu'il congèle et statufie. Accueilli par Jean-François Dumont en 1989, Pascal Convert aura fait de son exposition une vitrification de la galerie elle-même, une vitrification du lieu pour exposer : elle devenait par là même l'objet, ou plutôt le processus exposé (13). Or, ce que l'artiste imposait au spectateur était bien de l'ordre d'une mise en arrêt, d'une statufication : les lieux de passages habituels avaient été transformés, les portes sorties de leurs gonds puis rescellées par d'hermétiques dalles de verre inamovibles. Le spectateur était donc arrêté, mais son regard, suscité par l'arrêt lui-même, passait outre. Magie simple du verre, dont seuls les enfants savent d'ordinaire s'inquiéter : il arrête physiquement, il fait passer outre visuellement — et ce n'est pas un hasard que Pascal Convert n'ait « vitrifié » l'espace de la galerie qu'aux lieux électifs ou stratégiques des passages, des seuils.

Faudra-t-il encore s'étonner de voir se développer un processus assez proche dans l'art proustien de la mémoire? Le verre est partout — étrangement, extraordinairement valorisé dans la Recherche du temps perdu. Il y est une substance de désir ou bien d'effroi. Il y manifeste l'interdit du toucher, il s'y donne comme une substance maternelle, quelquefois explicitement sexualisée (ainsi, dans le passage des carafes de cristal plongées dans l'eau grouillante et cristallisable de la Vivonne). Il a fait parler, chez certains exégètes, d'une véritable « recherche de la matière perdue ». Il a donné, chez Proust lui-même, un paradigme explicite pour l'écriture et le travail du style, capable de compacifier toutes les immatérialités (14). Certaines demeures — celle des Guermantes, en l'occurrence —, Proust les pensait comme des « hôtels de verre » qui allaient jusqu'à faire du nom de leurs occupants un « nom de vitre ou de vitrail (15)». Visuellement, Proust retrouvait ainsi toutes les impressions mallarméennes d'objets et de plans « glacés » : les murs de sa chambre, il les vitrifiait mentalement ; les vitraux, à l'inverse, il les voyait comme des tissus, des tapis muraux et lumineux (16).

Mais, surtout, le verre faisait tissu, voire tableau, aux yeux de Proust, par sa capacité à ramener tout l'espace — toute la profondeur de l'espace — au strict plan monochrome d'un matériau glacé : ainsi contemplait-il toute la mer lointaine « sertie entre les montants » d'une vitre où les nuages étaient vus comme « les défauts même du verre » ; le ciel quant à lui devenait une géométrie pure et verticalisée, posée, découpée à même la vitre comme un retable sur un autel (17). La réciproque n'est pas moins intéressante : c'est lorsque l'air lui-même, atteint par le processus de vitrification, compacifie l'espace étendu jusqu'à en faire un oppressant, un obsidional volume :

« La chaleur du jour tombait, se déposait, comme au fond d'un vase le long des parois duquel la gelée transparente et sombre de l'air semblait si consistante qu'un grand rosier, appliqué au mur obscurci qu'il veinait de rose, avait l'air de l'arborisation qu'on voit au fond d'une pierre d'onyx (18). »

Or, cette grande constellation de « visions vitreuses », avec tous les paradoxes qu'elles supposent, ne manifeste chez Proust rien de moins qu'une théorie de l'image. Car elle fait de toute image une fixation, une vitrification — tout en pensant la fixation elle-même comme l'effet, fragile et momentané, d'un déplacement, d'une condensation, d'un contact, d'un rapport en général : « Les images que nous voyons assemblées quelque part sont généralement le reflet, ou d'une façon quelconque l'effet, d'un premier groupement assez différent quoique symétrique d'autres images, extrêmement éloignées du second19 ». Voilà donc ce que la matière du verre nous rend capable de comprendre dans les images qu'elle offre : elles sont des fixations dans l'ici (façon de construire les lieux visuels), mais elles ne sont pas moins les déplacements d'un ailleurs (façon de comprendre tout lieu visuel comme porteur du virtuel). On peut dire en ce sens que l'œuvre de Pascal Convert ne travaille dans le registre de l'image — je ne parle pas d'imagerie, bien sûr — qu'à cette seule, je veux dire : qu'à cette double et dialectique condition.

Georges Didi-Huberman, extrait de "La demeure, la souche".

 

13 - Cf. le très beau catalogue de cette exposition Convert, Bordeaux, Jean-François Dumont, 1989, 28 p.

14 - Cf. D. Mendelson, Le Verre et les objets de verre dans l'univers imaginaire de Marcel Proust, Paris, Corti, 1968, passim, et J.-P. Richard, Proust et le monde sensible, Paris, Le Seuil, 1974, p. 117-121.

15 - M. Proust, À la recherche du temps perdu, éd. P. Clarac et A. Ferré, Paris, Gallimard, 1954, I, p. 171-172 ; II, p. 10-15, 209, 531, 542-543 ; III, p. 265, 856-857, 1023.

16 - Ibid., I, p. 60 et 181.

17 - Ibid., I, p. 383, 672-674, 803.

18 - Ibid., I, p. 80.

19 - Ibid., III, p. 983. Cf. à ce sujet le beau commentaire de G. Deleuze, Marcel Proust et les signes, Paris, PUF, 1964, p. 42.

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