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1999 - 2000

Pietà du Kosovo

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PC - Qui est cette femme qui vous regarde ?
GM - Afferdita. La photo croise son regard, mais elle ne me regarde pas. J’ai d’autres photos où elle est présente et où elle ne me regarde pas. Elle n’est pas tout le temps en train de me fixer. Sur cette image – et encore ce n’est pas un regard franc - elle croise le regard au moment où je déclenche. C’est l’écriture de l’instantané, il n’y a pas de mise en scène. Cependant, c’est vrai qu’elle est un contre-point à l’image. C’est elle qui la date, car c’est une image qui aurait pu être faite il y a 20 ans, tout cela n’a pas tellement évolué. Elle a un visage moderne, qui aide à situer les choses visuellement.

PC - Dans un lieu comme celui-ci règnent une charge de respect par rapport à une situation de deuil, ainsi qu’une charge émotionnelle. Comment vis-tu cela en y pénétrant ?
GM - Chacun peut vivre cela à sa manière, en tant qu’être humain. Mais il y a dans l’acte photographique, professionnel, une distance que l’on peut retrouver dans toutes les professions en contact avec ce genre d’intensité. On ne peut pas complètement se laisser aspirer, absorber par l’émotion, on est souvent en décalage. Quand je rentre dans cette pièce, je ne peux pas dire que je sois bouleversé. J’ai de la compassion, mais je ne suis pas bouleversé au point de ne pas pouvoir travailler, ce qui a pu m’arriver dans d’autres circonstances. Il y a cette distance, ce filtre, que donne la profession, la camera, le stylo, ou l’appareil. Ce n’est qu’ensuite, lorsque l’on sort de la pièce et que l’on y repense qu’on ressent les choses plus fortement.

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PC - Le fait d’être face à un rite – l’accompagnement rituel de la mort – te met-il automatiquement devant quelque chose de culturel ? Entres-tu dans une attitude particulière de respect face à la mort, une distance culturelle ?
GM - Ma façon d’être ne change pas par rapport à un corps, qu’il y ait une tradition musulmane, chrétienne, ou pas de tradition du tout. Il y a toujours un respect, quelque chose qui se passe quand il y a quelqu’un comme cela, devant vous. La distance, au fond, c’est lui, le corps, qui l’impose, pas la tristesse des femmes.

PC - À la suite de cela, tu repars à Pristina.
GM - Nous devions faire un crochet par Petsch, dont nous avions entendu parler, et qui est une ville assez importante du sud-ouest du Kosovo à une heure de Pristina. La manifestation était terminée. Il y avait une présence militaire très forte à l’entrée de la ville et au centre, nous avons donc fait quelques images puis nous sommes rentrés à Pristina.

PC - C’est à ce moment-là que tu envoies les bobines par avion ?
GM - J’envoie les bobines le lendemain, car France 2 devait envoyer ses cassettes à Paris (à l’époque il n’y avait pas tous les systèmes de transmission et de diffusion d’aujourd’hui). Daniel Lévy, le caméraman de l’équipe, monte en voiture pour transférer ses cassettes à la rédaction à Pristina, et j’en profite pour lui donner mes films. C’est lui qui s’en occupe et moi je reste à Pristina.

PC - Ils sont, je crois, arrivés à la rédaction un dimanche, jour de permanence ?
GM - Je ne sais plus. Mais l’éditeur, qui voit la photo, est encore là, ainsi que le rédacteur de permanence, qui était notre directeur de rédaction de l’époque, Floris( ?) de Bonneville. Le reportage fait une trentaine d’images. Il en garde deux : une est en « point rouge », c’est-à-dire le premier choix diffusé, et l’autre en « point vert », premier choix non diffusé (c’est une image dont on garde la mémoire, mais qui n’est pas diffusée). Le lendemain soir, je reçois un petit télex de félicitation de la rédaction, ce qui est rare. Je sens donc qu’il y a une photo importante et malgré les difficultés de communication, j’appelle la réaction le surlendemain. Là on me dit que c’est une photo très forte, que tout le monde est venu voir.

PC - La photo sort alors dans le Times ?
GM - Non. Le Times a traité le sujet avec une scène de manifestation très banale, sur un petit quart de page, représentatif de l’importance géostratégique du Kosovo à l’époque, c’est-à-dire pas grand-chose. La première publication que je vois de cette photo, et qui est aussi je pense la première publication dans un magazine d’importance, se trouve dans L’Express, environ un mois plus tard. J’ai oublié le titre du sujet mais il revient, avec du recul, sur la situation. La photo y est publiée pour la première fois, en demi-page.

PC - Les publications se sont-elles ensuite enchaînées ?
GM - Pas vraiment. À l’automne 1990, le Figaro Magazine fait une ouverture sur la douleur et choisit cette photo. Elle est superbement imprimée, mais totalement extériorisée de son contexte. Ce n’est plus du tout informatif, et l’on perd presque l’intérêt de la publier.

PC - En 1991, elle est primée par le World Press, ce qui peut paraître une destinée étonnante au vu de la faible densité de l’information accordée à l’époque au Kosovo.
GM - Oui. J’ai moi-même envoyé la photo, comme c’est l’habitude générale. Le président était Christian Caujolle, directeur de l’agence Vu. Je sais qu’il y a eu débat, un débat qui traverse d’ailleurs tous les jurys, à savoir : que doit-on primer ? Doit-on primer un reportage, une information, en fonction de l’importance de l’information elle-même ? Cette année par exemple, le World Press va-t-il primer l’Irak ? C’est possible, mais ce n’est pas sûr. En 2001, la photo de l’année ne concernait pas le World Trade Center. Ma propre position est qu’il ne faut pas mélanger les genres, et qu’un prix peut aussi avoir trait à un événement mineur.  Le World Press, au-delà de faire parler de la photo et du photographe, a aussi servi à faire parler concrètement du Kosovo, alors qu’à l’époque il y avait certainement des événements plus importants. Je reste attaché à cela. Je fais un travail de photojournalisme, et le but reste d’informer par tous les moyens possibles. Un prix ne doit pas forcément récompenser la photo partagée par tous.

PC - Ensuite la photo disparaît un petit peu. En 1992, elle continue à être publiée, mais ponctuellement.
GM - Elle ne disparaît pas, mais dans l’actualité de l’ex-Yougoslavie, on passe directement de la Slovénie à la Croatie, puis à la Bosnie, et le Kosovo ne fait que ponctuer tout cela avec l’intervention de l’ONU.

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PC - Si cette photo n’a jamais été attaquée dans ses fondements (personne n’a jamais prétendu que c’était un faux), il y a tout de même eu débat sur le problème de la mise en scène. 
GM - C’est un débat auquel je n’ai jamais été confronté en direct. Il y a eu débat sur l’esthétisme et la manière de traiter l’esthétique dans la presse (l’image est-elle trop esthétique ? pas assez ?) mais jamais sur la mise en scène, c’est-à-dire, au fond, l’intervention volontaire, objective, du photographe pour placer quelque chose à sa manière dans l’image. Ce débat sur la mise en scène fut vite clos car il y avait non seulement une photo mais aussi un film pour un journal télévisé, qui diffusait la même image et attestait de la réalité de la scène. On pouvait presque tirer l’image de ce film. Certes il y a eu des discussions, mais les questions sur les rapports entre l’information, la photographie, l’esthétisme et l’émotion traversent en permanence la profession, ce qui est positif. Ce débat reste ouvert, mais la photo n’a jamais été remise en cause.

PC - Il s’agit pourtant ici d’un esthétisme très particulier, dans la mesure ou il se réfère, par son cadrage et son iconographie, à des scènes picturales ou sculpturales classiques. En ce sens, on peut parler de mise en scène, sans parler de manipulation.
GM - Oui, mais l’essentiel est tout de même de comprendre de quoi on est en train de parler. Il s’agit de photo reportage, je n’essaie pas d’expliquer autre chose que ce que je vois. Caravage, lui, faisait de la mise en scène. Il décidait de l’emplacement de son modèle, de la lumière, etc. C’est un choix, que je qualifierais de luxueux, un choix d’artiste, pas un choix de photographe de presse. Quand je rentre dans une pièce et que la lumière est en contre-jour, je dois m’en contenter. Je ne vais pas demander aux gens de se mettre dans le bon sens.

PC - Tu as cependant conscience que cette question fait débat, et qu’elle constitue en fait un questionnement permanent sur la question de la vérité ? D’après toi, au cours des dix dernières années, n’y a-t-il pas eu un glissement de la méfiance par rapport aux images ?
GM – Je pense que certaines choses sont des piliers, des contraintes de l’information qu’il ne faut jamais oublier. Aucune photo ne dit la vérité. Il y une photo, et l’information qui l’accompagne. Une photo ne parle pas. On ne peut dissocier une photographie des éléments qui lui sont nécessairement et intrinsèquement reliés. Une photo peut être montrée sans accompagnement, comme cela a été le cas dans le Figaro Magazine, mais je ne revendique pas cette façon de faire. Montrer une photographie, c’est aussi expliquer ce qu’il y a dessus. Il faut, et c’est le cas pour toute photographie, toujours lui associer au moins le factuel, ce qui est même peut-être plus important que de lui associer quoi que ce soit d’autre. « Où ?», « pourquoi ? », « comment ? », « qui ? ». C’est très anglo-saxon, mais sur ce point ils ont raison. Il est ensuite bon de pouvoir discuter, analyser et comprendre les choses différemment, mais si l’on supprime les éléments de légendes, qui disent « cela s’est passé à tel endroit », « c’est telle personne », éventuellement « pourquoi ? » (ce qui est déjà une prise de position) on peut faire dire n’importe quoi à une image, esthétique ou non. Il existe de nombreux cas d’une image détournée de son sens. C’est une spécialité de certains régimes ou d’une certaine presse, et c’est un détournement. L’esthétisme n’est pas pour moi un parti pris. C’est le référent qui, au fond, fait question.

PC - Penses-tu que le côté esthétique, plastique, d’une photo, soit un facteur de trouble quant au sens ?
GM - Je pense que la photographie est dès sa naissance chargée d’esthétisme. Le réalisme est dans la couleur, mais on est dans l’esthétisme dès que l’on aborde le noir et blanc. Le noir et blanc n’est pas quelque chose que l’on trouve naturellement, et même si au départ il est imposé par la technique, il constitue aujourd’hui un choix. Il existe encore beaucoup de photographes – et c’est tant mieux – qui choisissent de couvrir leur reportage en noir et blanc. Il y a donc là, au départ, un souci d’esthétisme. Même si les photos « puent », même si elles sont dures. L’esthétisme est imposé au niveau du choix de la pellicule. Et là c’est un parti pris.

PC - Il existe aujourd’hui, en 2003, une suspicion réelle du grand public par rapport à l’image télévisuelle. Sens-tu la même suspicion par rapport à l’image photographique ?
GM - Je crois qu’il y a certainement une confrontation critique entre les consommateurs d’images ou d’information en général, et les gens qui produisent de l’information ou de l’image. Cette confrontation n’existait peut-être pas auparavant, mais aujourd’hui les gens sont éduqués, expérimentés par rapport à cela et ont – et c’est tant mieux – un œil un peu plus critique sur ce qu’ils regardent.

PC - Cela amène-t-il les photographes à modifier leur manière de travailler?
GM - Je ne crois pas. Je pense qu’il ne faut pas changer la manière de travailler. Mais il y a un argument bien réel qui est que l’on est dans un flux permanent d’images, qui tend vers l’instantanéité. On touche là à l’un des paramètres importants du journalisme en général, qui est le temps, le recul nécessaire à la vérification ou à la mise en perspective. On est de plus en plus tendu. Ce sont des raisons qui tiennent aux facilités de diffusion et à la concurrence exacerbée des chaînes et des journaux. Ainsi lorsque l’on regarde les premiers jours de la deuxième guerre irakienne, on entend tout et son contraire. Il s’agit de diffusion en « live » avec des systèmes vidéophones, d’une information en continue sans temps pour la vérification. Ce qui est dit est parfois vrai, parfois faux, et cela semble sans importance.

PC - Cependant, si le retour sur image dans le domaine de l’image télévisuelle peut être extrêmement faible dans la mesure où tout n’est pas enregistré, il peut être permanent dans le cas de l’image photographique. Il offre une capacité critique plus grande et expose davantage la photographie à l’analyse. Ne crains-tu pas que, petit à petit, la photographie se méfie du doute préalable et se vide de sa substance ? N’y a-t-il pas une tendance de la photographie à produire une suppression de l’image ?
GM - Il y a aujourd’hui deux grands flux en photographie. Le premier est le flux télévisuel où, en quelque sorte, on singe la télévision sans apporter autre chose : la photo du but est la même au journal télévisé et dans la presse. C’est le même moment. Il y aussi un autre flux, tout aussi permanent, de photographes qui essaient de prendre du recul et d’avoir d’autre perspectives sur le sujet. Je crois que s’il y a débat sur la véracité de l’image, cela ne peut qu’aider ce deuxième flux. On a peut-être aujourd’hui plus besoin de voir ce genre de travail qu’auparavant. C’est peut-être une vision optimiste, mais je ne pense pas qu’il y ait une disparition du sens de l’image, car il y a justement obligation d’apporter de l’image avec un peu plus de sens et de responsabilité pour contrer cela. Ces deux courants existent en parallèle et peuvent même parfois se croiser, mais je ne suis pas forcément pessimiste.

PC - Ne crois-tu pas que l’image, en fait, ne s’affranchit pas de son régime de diffusion, c’est-à-dire que l’on ne peut pas avoir une perception de l’image sans prendre celui-ci en compte (télévision, exposition…) ? N’y a-t-il pas en fait aujourd’hui une crise des régimes de diffusion, notamment avec Internet et la possibilité de multiplier les réseaux ? Le ressens-tu, par exemple, avec l’évolution du numérique ?
GM - Je crois que le numérique est, pour le photographe, une chance inouïe, qui engendre certes des bouleversements sur la diffusion et la façon de faire circuler l’image, mais qui permet, d’une part, de reprendre le contrôle de son travail, et d’autre part de se faire voir. Je ne crois pas que le numérique ait créé le génie, mais on dit plus facilement aujourd’hui qu’il y a beaucoup de bons photographes dans le monde, parce que l’on a plus facilement à voir. Un photographe mexicain, bolivien, africain…, peut grâce au numérique se montrer plus facilement qu’il ne pouvait le faire auparavant en argentique. Il fallait alors savoir à qui envoyer et montrer les tirages. Aujourd’hui il se fait une page web et envoie quelques bons mails aux bons endroits. On va pouvoir ainsi découvrir des gens que l’on n’aurait pas pu voir auparavant. Le numérique est donc une vraie chance de se montrer pour le photographe.
De plus, le numérique permet, au moins au photographe de presse, de contrôler son travail. Il offre au photographe de presse qui travaille en déporté une liberté nouvelle, ainsi que la responsabilité qui lui est associée. À l’époque du Kosovo dont nous parlions tout à l’heure, j’envoyais des films « blindés », c’est-à-dire non développés, et je ne découvrais les images qu’à mon retour deux à trois semaines plus tard. Or il était impossible de légender un film de 36 vues : chaque image aurait due être numérotée et annotée en précisant ce qu’il y avait dessus, ce qui était irréalisable. On envoyait donc une légende générale avec les quelques précisions particulières que l’on pouvait donner, mais cela était toujours source d’erreurs et d’interprétation une fois que cela arrivait ici. Aujourd’hui, grâce au numérique, le photographe envoie ses 25 photos et sait ce qu’il y a dessus. La photo est transmise par le photographe, signée par le photographe, légendée par le photographe. Dès lors le journaliste, qui est le photographe de presse, assume, et assure que c’est ce qu’il a vu. Et si une agence de presse a confiance dans le photographe avec lequel elle travaille, elle peut diffuser l’image lorsqu’elle la reçoit. Le numérique a donc énormément apporté au niveau de la liberté et du contrôle de la diffusion.
L’évolution des systèmes de diffusion touche également le mode de financement, dont il faut aussi parler. Les pages concernant ce type de reportage ayant tendance à laisser place aux sujets « people » ou autres, il est bon qu’existent d’autres vecteurs de diffusion (éditions, expositions, projections…). N’oublions pas non plus que la justification du reportage réside dans la divulgation de l’information. On ne fait pas un reportage sur le Kosovo, sur une famine, sur un génocide, disons sur la tragédie humaine et la nécessité de dénoncer certaines situations, par esthétisme absolu, pour accrocher dans un musée ou pour vendre à une élite au meilleur prix. Dans ce cas, il y a usurpation. Ainsi la photo de Hocine qui a fait 750 quotidiens : combien de lecteurs se sont pris cette une au visage et se sont peut-être interrogés quelques instants sur ce qui se passait en Algérie ? Mais si l’on considère cette même photo, si on ne la diffuse jamais par ce qu’il faut la protéger pour en faire des tirages particuliers… non on ne fait pas ce genre d’images que pour cela.

PC - En 1999, tu es revenu sur les lieux à l’occasion d’un reportage pour Match. Pourquoi as-tu eu besoin d’y retourner ?
GM - J’ai fait le reportage pour moi, même s’il a été publié par Match et d’autres. Dès le premier jour, je rentre très vite dans le Kosovo dévasté. C’est un endroit que je n’ai pas oublié, parce que cette image m’y a fait repenser, et parce que c’est un endroit avec lequel j’ai eu une relation, même si elle a été lointaine. À la suite des publications de photos, la famille, via un oncle proche basé en Suisse a réussi à faire passer le message qu’elle voulait se procurer l’image. J’ai donc fait circuler la photo jusqu’à ce qu’elle puisse arriver là-bas (elle a d’ailleurs été utilisée de façon un peu militante sur place). C’était donc une suite logique de retourner là-bas, pour avoir des nouvelles et tenter de voir ce qui s’était passé dans ce village. Cela m’a mené à faire 4 jours d’enquête afin de retrouver des gens qui s’étaient totalement dispersés, qui n’avaient plus du tout de nouvelles les uns des autres. Cela m’a permis de revoir ces gens, et de les voir se retrouver.

PC - Comment t’ont-ils accueilli ?
GM - Bizarrement. Mais c’est moi qui vois cela bizarrement. Paradoxalement, j’ai – nous avons - l’impression de les connaître, plus qu’eux nous connaissent. J’ai passé physiquement 5 minutes dans leur vie. Ils ont pu oublier mon visage et ce que je suis dix ans plus tard représente peu pour eux…Mais moi, je connais ces visages par cœur, et quand je la vois, je sais qui je vois, c’est presque de la famille, en tout cas c’est quelqu’un de connu. Il se passe donc quelque chose lorsque ce visage, en face de moi, me regarde comme un étranger… Ce sont deux personnes qui se rencontrent, l’une pensant très bien connaître l’autre, l’autre ne la connaissant pas du tout. C’est étonnant. Ensuite, on a le temps de parler et je deviens le photographe qui a fait la photo exposée dans le salon de la maison. Cela crée immédiatement un lien et des discussions moins anonymes.

PC - Est-ce que cela t’a gêné que la photographie soit utilisée par l’UCK ?
GM - Beaucoup de photos sont utilisées, avec ou sans l’accord du photographe, par des mouvements qui se les approprient. J’ai vu des photos fortes (des icônes en quelque sorte) de collègues reproduites en Palestine ou au Liban. Je n’aime pas tellement la philosophie traditionaliste à outrance de l’UCK, cela m’ennuie donc, mais c’est le destin de l’image, sa vie propre. C’est une partie de sa vie qui m’échappe.

2005

 

Georges Mérillon est né en France à Talence prés de Bordeaux en 1957.
Après des études ennuyeuses, il se jette dans la photographie et part pour son premier reportage à Calcutta en1979 et 1980. Ce travail de deux mois sera publié dans le magazine Géo. En 1981 il fonde avec d’autres indépendants un collectif de photographes : Collectif Presse, une alternative “sociale “ aux grandes agences basées à cette époque à Paris. Dans ses choix, il fait la part belle aux sujets politiques et au monde du travail. Collectif fait le plein d’énergie et devient un vivier pour les grandes agences. Georges Mérillon rejoint Gamma en 1987. Il y couvrira l’actualité internationale et réalisera des reportages sur les sujets de société, des portraits et des commandes magazine. Son travail est publié en France et à l’étranger : Libération, l’Express, Time, Newsweek, Paris Match, Stern, Independent on Sunday, Life lui font une large place.
Il est plusieurs fois récompensé par des prix internationaux et reçoit en 1991 le prestigieux Wold Press “Picture of the Year“ pour un reportage au Kosovo et un autre “World Press“ pour son travail en Algérie en 1995. Il sera désigné par ses pairs à l’European Fuji Award de 1993, “Photographe européen de l’année“.
Ses images sont souvent exposées et notamment à la Galerie Canon à Amsterdam pour une rétrospective, au Festival Visa pour l’Image de Perpignan, à la galerie du Château d’Eau à Toulouse, au Palais des Nations à Genève, à l’Hôtel de Ville de Paris.
En 2001 il devient rédacteur en chef de l’agence Gamma. Il suspend alors les grands reportages et commence un travail photographique plus intimiste.
De 2004 à 2005 il est directeur de la rédaction et responsable du fonds photographique de l’agence Gamma. En Avril 2005, il décide de se consacrer à la prise de vue et reprend pleinement son activité de photographe.